SERGE CHEVAL, DIRECTEUR NATIONAL DES MAISONS FAMILIALES RURALES (MFR) « La formation est un investissement, non une charge ! »
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Pour les entreprises, il devient de plus en plus difficile et contraignant de prendre des jeunes en formation et d'embaucher. L'argument mis en avant : les stagiaires, les apprentis, voire parfois les salariés... sont un coût plus qu'un atout. Que répondez-vous ?
Il est vrai que dans les périodes difficiles, les entreprises réduisent en premier lieu les budgets de communication et de formation professionnelle. Nous, MFR, nous formons des jeunes, notamment aux métiers de l'horticulture et du paysage. L'alternance des expériences entreprise-école est depuis le début au coeur de notre projet pédagogique, en formations scolaires ou par apprentissage. À notre avis, l'école ne peut préparer seule les futurs professionnels. Dès 15 ans pour certains, les jeunes ont besoin d'entreprises pour se forger une expérience. Écoles et professionnels, nous devons leur montrer une image positive des métiers. Nous invitons les entreprises à (re) considérer les stagiaires non comme une charge, mais comme un investissement. Ils représentent des compétences qu'il faut adapter aux évolutions des métiers et des contextes économiques et professionnels. Des compétences qu'il faut accompagner vers la créativité. Prendre un apprenti, un jeune en contrat de professionnalisation, c'est investir pour le développement de l'entreprise.
Dans les esprits, la formation professionnelle et l'emploi restent compris comme des charges... comptables...
CAPA, bac pro ou BTS, ce sont les collaborateurs de demain, ou de futurs entrepreneurs. Il faut s'y prendre autrement. Nos jeunes ont besoin de pratique, de passer par le concret. Il faut valoriser cette démarche, surtout si on veut qu'ils soient motivés et intéressés par l'exercice professionnel. L'entreprise doit investir sur des savoir-faire et des compétences, sur la transmission du geste et des savoirs. Il faut penser une approche globale. À la formation générale, il faut adosser la transmission du métier et aussi, aujourd'hui, l'apprentissage de la mobilité.
Mais il faut mobiliser du temps, celui d'un maître de stage, ou d'un maître d'apprentissage, d'un tuteur, d'un senior...
C'est du temps, mais c'est surtout une source d'enrichissement. Ces jeunes, débutants aux questions candides, ou moins jeunes venus d'autres horizons que l'agriculture (de plus en plus souvent), nous interpellent. De fait, ils questionnent nos habitudes. Si on sait accueillir leurs interrogations, les échanges peuvent devenir un enrichissement, un apport d'idées nouvelles, de solutions auxquelles on n'aurait pas pensé. Ils suscitent une prise de recul.
Très souvent, dans l'entreprise d'accueil, quand on est en place depuis longtemps et qu'on a l'expérience, on considère que l'on sait, que l'on a à transmettre, pas tellement à apprendre...
Le stage et l'expérience en entreprise, ce ne sont pas de la pratique pour de la pratique. Ils n'ont pas ou peu d'intérêt si c'est juste pour copier des gestes. Nous ne participons pas à une école de la reproduction. Prendre un stagiaire, un apprenti, c'est se préparer à répondre à beaucoup de « pourquoi ? ». Les visites durant la formation, les échanges entre élèves qui reviennent de stages, aux contextes très variés, la découverte de pratiques différentes... sont autant de brassages d'idées. Dès qu'ils formulent et questionnent, nous, formateurs et chefs d'entreprise, avons une obligation de nous interroger sur nos certitudes, nos propres pratiques, nos habitudes.
Difficile de ne pas se sentir remis en question, de ne pas avoir peur de ne pas savoir répondre, de ne pas prendre certaines questions comme des critiques ?
Plutôt que de rester campés sur des certitudes, nous pouvons y voir aussi une opportunité pour apporter des éléments vus et pris ailleurs, des idées nouvelles. La pédagogie du questionnement, c'est une source potentielle de richesse pour l'entreprise et pour les apprenants.
L'alternance de situations école-entreprise se met en place dans beaucoup d'écoles et centres de formation. L'apprentissage entre même dans les formations supérieures !
Oui, parce que l'économie a besoin des stagiaires et des apprentis pour préparer la relève. Pour une entreprise, des stagiaires de niveaux bac, BTS, licence... peuvent apporter un plus, voire faire partie d'une équipe R & D (recherche et développement), par exemple. Investir dans un jeune, c'est aussi investir dans la recherche, dans l'avenir.
Il semble y avoir un paradoxe actuellement dans les discours des gouvernements successifs, notamment. On prône le développement de l'alternance partout pour favoriser l'insertion. Mais par ailleurs, on limite les pratiques réelles et les accès à l'usage des outils du métier...
Certes, l'alternance est prônée par tous. Mais, dans la réalité, sa mise en oeuvre est contrainte. Aujourd'hui, demain plus encore, il est difficile d'encourager un chef d'entreprise à prendre un stagiaire compte tenu de l'encadrement et des démarches administratives.
Reste une des difficultés pour les entreprises, c'est de se conformer à une exigence toujours plus contraignante vis-à-vis des consignes de sécurité, pour les employés mais aussi pour les stagiaires ou apprentis...
Il faut protéger ces derniers en entreprise bien sûr. C'est normal et important de s'occuper de sécurité dans une formation professionnelle où il s'agit d'accompagner des jeunes sur lesquels on investit pour l'avenir. Mais il faut apprendre à ne pas avoir toujours peur. Il vaut mieux aller dans le préventif que rester dans le curatif et multiplier les contraintes juridiques.
On n'est pas obligé de mettre tout de suite un apprenant à un poste sur une machine. Mais les stages ne peuvent pas non plus devenir juste des périodes d'observation. Il faut faire confiance, et donner envie. Notre société se portera mieux si elle sait donner confiance aux jeunes.
Odile Maillard
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